• L'âge d'or de la photographie albanaise - pachas mignons

    A voir jusqu'au 8 janvier 2012, une somptueuse exposition à la Maison Européenne de la Photographie.

    Avant de faire le déplacement, on s'était tout de même interrogé: l'intitulé de cette expo, c'était bien sérieux? Pourquoi pas un "best of de la pyrogravure monténégrine" ou "les grandes heures du sténopé kosovar dans l'entre-deux-guerres"? On baignait dans le doute.

    Il est vrai qu'on a vu, à la MEP, une palanquée de retrospectives fumeuses de photographes dont des curateurs en mal de notoriété tentaient de faire le buzz. Mais le bâtiment, ce magnifique hôtel particulier du Marais, flanqué d'un joli jardin zen, reste toujours un endroit agréable, pas trop fréquenté, où il est sympathique de déambuler à loisir. Et puis, on s'y est régalé, aussi, et souvent, de séminales expositions, fouillées, audacieuses même parfois - alors, la promenade sous un ciel ensoleillé ce dimanche était plutôt engageante.

    Manifeste à l'entrée de l'exposition: L'Albanie ne figure pas dans l'histoire mondiale de la photographie. Ah bon. Mais les commissaires, heureusement, nous rassurent aussi sec: Elle possède pourtant un patrimoine photographique unique dans les Balkans. Tant mieux.

    Trêve de plaisanterie: sur deux salles, on est embarqué, comme par enchantement, dans un voyage spatio-temporel, qui nous mène dans ce pays en forme de dauphin nain, coincé entre le Monténégro et la Grèce, la nageoire dorsale plantée dans la Macédoine et le rostre fiché dans les eaux de la Méditerranée. Les Balkans, quoi. Le tout entre 1858 et la seconde guerre mondiale (ça, c'est pour l'âge d'or).

    L'âge d'or de la photographie albanaise - Tous mes pachas

    Kel Marubi

    On est vite saisi par la densité, l'humanité qui se dégage de ce que les photographes ont capté. Ces photographes? Une lignée de Marubi, d'origine italienne (le premier, garibaldien, a quitté l'Italie pour se réfugier) qui sur trois générations ont cartographié la diversité albanaise (oui, la diversité, comme on dit aujourd'hui de ce que l'on voit dans nos rues, nos soirées, nos amitiés - mais pas chez nos politiques). Mais il y en a d'autres, de ces photographes, pour la plupart des photographes talentueux, qui après une formation en Italie ou en France, ouvrirent à peu de frais un studio dans les rares villes de ce pays montagneux. Ils ont pour noms Vangjush Mio, Kristaq Sotiri... et, souvenir de leur périple transalpin, ils peignent en fond des colonnes néoclassiques léopardées de motifs végétaux, ainsi que des décors pastoraux ou forestiers devant lesquels ils font poser paysans des montagnes, mendiants, rebelles, soldats, barbiers - jusqu'au roi Zog (si si !), qui aura le privilège d'être photographié en culotte sombre, dos à la mer, portant haut une haltère qui semble fabriquée à l'aide de boîtes de conserves.

    L'âge d'or de la photographie albanaise - pachas mignons

    Kel Marubi

    Parce que ces personnages - outre qu'ils semblent pour certains tout droit sortis du Sceptre d'Ottokar - ces êtres humains qui défilent sous nos yeux attendris, ce sont pour la plupart des petites gens, comme nous, qui se font tirer le portrait, pas pour la postérité, non, plutôt pour voir, sans doute, à quoi ils ressemblent, ou bien pour décorer, luxe unique, leur intérieur, ou bien encore pour se rappeler une amitié; et ils sont portraiturés par des types qui n'envisagent pas de faire bouger les lignes de l'ésthétique de leur époque, mais qui font de belles photos comme on peut faire du bon pain ou tailler délicatement une moustache.

    C'est cette humilité, cette modestie du propos qui tient lieu de richesse: comment expliquer autrement une telle mosaïque de portraits? Sur cette minuscule bande de terre âpre, vivent des Musulmans, des Orthodoxes, des Catholiques, postillons crachés par une géopolitique qui les dépasse, ces reliquats des grands mouvements d'empires - ottoman, autrichien - qui s'offrent à l'objectif. Là, une jeune Musulmanne au visage opalin nous lance un regard à la fois noir et doux, alors que quelques pas nous séparent d'une Chrétienne au corps et au visage ensachés dans un voile et qui, justement, fuit le nôtre, de regard.

    L'âge d'or de la photographie albanaise - Tous mes pachas

    Pjetër Marubi

    Cette exposition renseigne également sur la manière dont, après le trépas, les corps sont accompagnés, et ceci quelle que soit la religion, sur les silencieuses veillées autour du défunt, les rassemblements autour du cercueil avant la mise en terre. C'est très émouvant. Le gros travail de recherche, de sélection, de classification et de présentation des deux commissaires de l'exposition, Loïc Chauvin et Christian Raby, mérite toute notre estime.

    L'âge d'or de la photographie albanaise - pachas mignons

    Anonyme, enterrement orthodoxe

    Maintenant, je vais vous demander de faire un petit effort: regardez les deux photos ci-dessous, puis jetez de nouveau un coup d'oeil à celles que vous avez déjà regardées en lisant cet article:

    L'âge d'or de la photographie albanaise - Tous mes pachas

    Gege Marubi

    L'âge d'or de la photographie albanaise - Tous mes pachas

     Pjetër Marubi, rebelles kosovars

    Vous avez remarqué? Oui, c'est bien de style que je veux vous parler maintenant, de style vestimentaire. Cette profusion de couleurs, de matières, ces coupes géniales, ces robes pour hommes, ces armes en tous genres (ici d'apparat, mais sait-on jamais...) plantées en tous sens dans de larges ceintures ventrales, ces petits spencers aux guirlandes de boutons de métal, ces couvre-chefs de toutes formes... Le monde d'aujourd'hui se divise en deux catégories: il y a ceux qui, cyniques, ne voient dans le pantalon du garçon de gauche du cliché ci-dessus rien d'autre que "des braies taillées dans de la toile de yourte", et les autres, qui se demandent ce qu'on fiche tous, nous, "les jambes enfoncées dans des cylindres de bâche de tente bleue signés Levi's ou Pantashop".

    Mon problème, en fait, c'est que je fais partie des deux.

    Quoi qu'il en soit, en descendant feuilleter le catalogue de l'exposition à la petite librairie de la MEP, j'ai regardé d'un oeil distrait un grosse monographie d'Helmut Newton - ces tirages de pétasses Mattelisées lovées autour de piscines classieuses, dans un graphisme ultra léché, m'ont paru encore plus insignifiants que d'habitude.

    Tous mes pachas!


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