• Daft Punk 2013 - Tubular Dells

    Non, mais vous avez écouté le dernier Daft Punk ? Get Lucky, déjà, fait son derviche sur les turntables des DJs un peu partout "around the world". Si ça ne tourne pas, c'est que ça passe en str(eam)ing sur les plages de continents en plein réchauffement. Les commentaires des lecteurs sur les sites du Guardian, de NPR, de la BBC... s'allongent comme des bras de mer sur la Pangée du buzz. Bref, avec ce morceau, vous êtes au coeur de la surface du monde. Et ça groove d'une force ! Pourtant, le meilleur morceau n'est pas celui-là.

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    La section basse-batterie est, en partie, tenue par Nathan East et Omar Hakim. Nathan East... Omar Hakim... Bon sang, mais c'est bien-sûr, vous les avez entendus (entre autres) aux côtés de Mark Knopfler au cours des eighties à l'époque de Dire Straits. Babos ? Requins de studio ? Les deux, Roberto. Ils sont un brin au rock pépère ce que la mythique paire Sly Dunbar - Robbie Shakespeare est au reggae. Mais, Daft Punk ? Daft Punk. A la guitare, de surcroît, un certain Paul Jackson Jr, qui fit les (très) beaux jours du funk planétaire au tournant de ces mêmes années 80, derrière Michael himself, et bien d'autres. Il partage la six cordes avec Nile Rodgers, le légendaire auteur du Freak... La bonne vieille section basse-batterie : "We've come too far to give up who we are" (dans Get Lucky) s'érige en manifeste esthétique.

    Coquins de Daft ! Alors que le 21ème siècle - dont ils avaient justement forcé les portes à coups d'infra-basses avec Homework - s'installe dans sa vitesse de croisière, eux prennent une pause et jettent un coup d'oeil en arrière. Nous, on n'avait rien vu de la manoeuvre - forcément, avec leur casque ! 

    Et leurs zicos, ils sont venus en déambulateur ? Oh, c'est ta vanne qui vieillit, Roberto - t'es pas au courant qu'on a haussé l'âge de la retraite, devenu si élevé qu'on pourrait de là-haut faire dévaler nos corps sans jamais toucher le sol ? Que Stallone a tenu à bout de poings le rôle de Rocky jusqu'à ses soixantes balais ? Que les Stones, après toutes leurs années de côtisations, pointent encore à l'entrée des stades ? Que Neil Young, 68 ans aux prunes, a bazardé sur ses auditeurs parisiens, pas plus tard que la semaine sernière, plusieurs dizaines de tonnes de métal lourd ?

    Daft Punk, pour son retour (sa premier incursion, en fait) à l'organique, à "l'instru", s'est offert la rutilance des plus belles chignoles des 70s et des 80s. Du lourd. Du métal, pas du plastique. Du qui consomme, qui tient pas compte de la pénurie. Du reste, au beau milieu de cette luxuriance, ils ont placé le personnage central du disque, le séminal Giorgio Moroder. Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer sa trogne Studio 54 style. Il a à ses côtés une Donna Summer tout en guêtres et porte la fly de rigueur ainsi que la moustache de Burt Reynolds dans Boogie Nights - en gros, des montagnes de coke.

    Daft Punk 2013 - Tubular Dells 

    Oui oui, le type au pif épaté et au regard mi-pervers, mi-noeud-noeud, à droite, c'est Moroder. "My name is Giovanni Giorgio, but everybody calls me Giorgio", comme il le dit d'une voix suave dans, Giorgio by Moroder, le morceau central du disque (tiens, on peut encore dire disque ?). Le grand oeuvre de ce Random Access Memory, sa clé de voûte, sa cathédrale - 9 minutes et des poussière d'élan pour projetter l'album (tiens, on peut encore dire album ?) depuis les dancefloors du village global vers les hautes sphères de l'ineffable. Un morceau incroyable.

    Cette composition est un tour de force : combiner une idée (comme en art contemporain) avec une plastique de toute beauté, tout en vous faisant remuer le popotin comme un premier communiant.

    L'idée, c'est de partir du récit autobiographique du Giorgio. Avec son charmant accent italien, il égrène ses années de jeunesse, parle de ses impossibles rêves de musique de gamin des montagnes de quinze berges. En quelque sorte : Heidi avec une moustache. Il parle de son départ pour l'Allemagne, des premières discothèques, des fins de nuits passées dans la bagnole, de sa volonté de créer un son - du jour où il a balancé un cliquetis électro qu'il a synchronisé sur un Moog. C'est l'idée : mettre en sons un récit - il se dit que la même chose aurait été faite avec Bob Marley, mais convenons que le postulat narratif est original.

    La plastique, maintenant - les plus cyniques (modernes ?) parleront d'habillage sonore, pas nous. Chaque intervention du maître italien est suivie d'une sorte de traduction musicale du propos. Après la partie purement autobiographique de Moroder, au début du morceau, le duo français enchaîne sur une électro classieuse et pourtant presque enfantine, qui déjà vous élève à un niveau de kif non négligeable.

    Puis, notre Discoboy intervient à nouveau, et là, on assiste à une prolifération phénoménale : passée la phase autobiographique, il reprend la parole pour avancer que sa musique s'est vraiment déployée lorsqu'il a balancé à la baille les idées de "correction", de "convention harmonique" - annonçant que la musique est une forme de liberté. 

    Cette combinaison, qui réjouirait tous les jurys d'agrégation de lettres modernes à cheval sur le "lien forme-sens", fonctionne comme une chambre d'écho multiformes : La musique (l'art absolu du non-sens, un art pur de la sensation) donne véritablement corps au propos, et le duo s'offre la liberté fabuleuse de mettre en son(s) ce qui vient de se dire. Un grand orchestre (soixante-cinq pupitres, du basson aux violons en passant par les trompettes et le hautbois) s'éjecte soudain de vos enceintes, et comme une charpente sonique, il se clipse sur la solide colonnade érigée par une rythmique de feu (deux batteurs, deux bassistes). C'est pile à ce moment que le disque devient génial, car il est à la fois théorique et animal, subtil et féroce.

    Et il en reste ! Dans la dernière minute, comme un éclair traverserait, par la rosace du transept, le choeur de cette cathédrale, une guitare s'abat en pluie sur le sol, répétitive et furieuse. La coda de Tubular Bells, de Mike Oldfield, juste sous ecsta. Ultime pépite : l'oeuvre s'achève sur un cliquetis électro - retour aux origines. Random Access Memory.

    Après neuf minutes et des poussières d'un tel ébat, on s'attendrait presque à voir le morceau relever lentement la tête et les épaules pour allumer une clope !

    Et votre corps ? Ca va, merci Roberto.

     


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